Un premier pas vers l'alliance anglaise

Forces Nouvelles 3/3/1945

L'activité diplomatique de ces derniers jours, a pris une nouvelle forme : la déclaration de guerre. Les nations sud-américaines, la Turquie, l’Égypte, chacun se hâte de la déclarer à l'Allemagne. Sans paradoxe, il n'est pas de meilleur signe que nous approchions de la paix. Inutile de le répéter après d'autres, ces déclarations de guerre n'ont rien de belliqueux.

Simplement, les puissances qui aujourd'hui, achèvent de rompre avec l'Allemagne, prennent position pour l'avenir. Elles se donnent le titre qui leur permettra de participer à la conférence de la paix et à la construction de la future société internationale.

À travers les petits heurts, les rivalités, les ambitions et les déceptions qui sont la trame quotidienne de la vie diplomatique, et malgré tous ces petits jeux divergents, nous assistons aujourd'hui à la construction de la paix future. Tout se place sous ce signe.

Comme le remarquait récemment René Payot dans le « Journal de Genève », ce qu'il y a de plus frappant dans le communiqué de la conférence de Yalta, « c'est l'effort très sérieux que les Alliés ont accompli pour prolonger leur collaboration après la fin des hostilités ». Saluons-en l'augure, car seule une coopération internationale étroite permettra au monde de se relever. Notre continent ne peut plus se permettre des guerres telles que celle qui s'achève. « Nous autres, civilisations, nous savons désormais que nous sommes mortelles », écrivait Paul Valéry en 1920. Les civilisations le savent davantage encore, qui se relèvent toutes meurtries.

On l'a beaucoup écrit avant cette guerre, et elle n'a fait que l'illustrer et le prouver : ou les peuples sauront construire une société internationale capable de canaliser les intérêts et de résoudre les conflits, ou ils périront avec cette civilisation qui est leur raison d'être. C'est pourquoi la conférence de San-Francisco, qui s'ouvre le 25 avril, et où la France siégera comme puissante invitante, doit construire une véritable société internationale capable d'imposer ses décisions, elle le doit, ou bien préparons tout de suite des abris pour la prochaine conflagration.

C'est dans ce climat que s'est situé le voyage à Londres de notre ministre des Affaires étrangères. Son programme était particulièrement chargé, mais son objet le plus immédiat fut sans doute de préparer cette alliance franco-britannique dont le général de Gaulle n'a pas caché son désir. Et, tout de suite, répondons à une objection qui nous est parfois venue d'outre-Atlantique. Cette politique d'alliance n'est pas contradictoire avec la construction d'une société internationale et la sécurité collective. Au contraire, cette politique d'alliance les prépare.

Il ne faut pas recommencer la vieille erreur du protocole de Genève où, selon le mot de Mac Donald, on construisait la maison par le toit. Il faut construire la maison par les fondations et nos alliances sont ces fondations.

Elles le sont parce qu'elles réalisent en Europe, un certain équilibre politique. Or il n'y a pas de société internationale qui puisse tenir s'il n'y a pas à la base un équilibre politique. Toute l'histoire de la SDN l'atteste. Elles le sont parce que, grâce à leur imbriquement (alliance franco-russe, alliance franco-britannique et « ces accords précis », pour citer le mot du général de Gaulle, avec les États du continent qui sont et risqueraient encore d'être les victimes désignées des ambitions germaniques, tels la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg), elles créent un réseau de liens entre les États européens.

Or le morcellement de l'Europe depuis vingt ans, sous le poids des nationalismes et des autarcies, est un phénomène extrêmement profond. C'est une régression du fait social international que M. André Siegfried a lucidement analysée. Avant de créer un super-État – ce super-État que nous appelons de toutes nos forces – il faut recréer les liens entre les États, il faut ressusciter la vie internationale, il faut recréer des courants d'échanges économiques et culturels. Toutes ces alliances y concourent.

Sans doute les conversations de Londres ne feront-elles que préparer les voies à une alliance franco-britannique. Bien des questions immédiates sont à éclaircir.

En ce qui concerne les problèmes proprement diplomatiques, la tâche est facilitée par le fait que presque partout, à l'heure actuelle, les intérêts de la France et de la Grande-Bretagne convergent. Qu'il s'agisse de la Pologne ou de la Yougoslavie, les positions de Londres et de Paris ont été, à quelques détails près, les mêmes.

Alors que de fortes critiques lui venaient de certains pays, et en particulier des États-Unis, le gouvernement anglais a trouvé de la part du nôtre, en ce qui concerne les affaires de Grèce, un esprit très compréhensif. Pour l'Espagne, après avoir montré envers le général Franco une indulgence qui a pu nous surprendre. M. Churchill s'est ravisé et sa position de fermeté ressemble désormais beaucoup à la nôtre. L'Angleterre n'a quand même pas oublié que l'Espagne a violé le statut de Tanger.